La digitalisation de l'économie et du travail
La CGSLB a recherché les dangers et les opportunités
L’impact de la digitalisation dans le monde du travail a fait l’objet d’une matinée d’étude de la CGSLB le 25 septembre à Bruxelles.
La digitalisation est également le sujet de débats et plusieurs études ont été publiées. En tant que Syndicat libéral, nous avons trouvé qu’il était nécessaire de renforcer notre propre positionnement dans ce débat.
Notre service d’étude a effectué une analyse minutieuse de la littérature scientifique sur la digitalisation. Afin d’avoir une vision plus claire de la situation dans le monde du travail, nous avons mené nous-même une enquête à grande échelle auprès d’un échantillon représentatif d’affiliés et de délégués de la CGSLB. Sur la base de la littérature et de nos propres recherches, nous avons ensuite formulé des propositions politiques concrètes pour orienter la transition digitale dans la bonne direction.
Des changements importants sur le marché du travail
La nouvelle vague de l’évolution technologique garantit que de plus en plus de tâches peuvent être effectuées par des machines, même celles qui ne peuvent pas être qualifiées de manière systématique. Par conséquent, de nombreux emplois risquent à terme de disparaître.. Mais nous n’en arriverons pas là. En effet, la digitalisation devrait renforcer la croissance de la productivité, permettant aux entreprises de réduire leurs prix et donc de créer une demande plus importante et une croissance correspondante.
Dans la pratique, il faut apporter quelques nuances au tableau : non seulement la croissance de la productivité en Belgique est à un niveau historiquement bas, mais le manque de concurrence et la crise sanitaire menacent de faire en sorte que les entreprise utilisent principalement les effets positifs de la digitalisation pour augmenter leurs marges bénéficiaires à l’avenir. Voilà pourquoi le Syndicat libéral demande notamment :
- Une augmentation structurelle des investissements publics afin de lancer la reprise économique après la crise sanitaire et de renforcer la croissance de la productivité.
- La mise en place d'un système de liaison à la numérisation dans le cadre de la loi du 26 juillet 1996., selon lequel les travailleurs des secteurs et des entreprises à forte productivité se voient attribuer une part équitable des bénéfices sous forme d’augmentations salariales structurelles en plus de la marge salariale.
- L’introduction d’une ACCIS (Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés) et d’une taxe sur les services digitaux au niveau de l’UE doivent garantir que les entreprises (multinationales) paient l’impôt des sociétés de façon juste.
Il est certain que des changements importants se produiront sur le marché du travail. Par le passé déjà, l’évolution technologique (combinée à une forte mondialisation) a considérablement modifié la structure de l’emploi, engendrant notamment une diminution de la part de l’industrie dans l’emploi. Cependant, le résultat net a été positif, l’emploi a continué de croître.
Néanmoins, on dit souvent que les choses seront différentes cette fois-ci. En effet, la technologie se développe bien plus rapidement et à une échelle plus vaste. . Des recherches menées par l’OCDE et McKinsey montrent que 14 à 23 % des emplois en Belgique peuvent être automatisés à terme, et que pour 32 à 15 % des emplois, plus de la moitié des tâches peuvent être automatisées. Nos propres recherches confirment ces résultats. Toutefois, de nouveaux emplois seront également crées. Selon McKinsey, 15 % des emplois en Belgique disparaîtraient d’ici 2030, mais de nouveaux emplois (16 %) seraient également crées, dont 6 % de nouveaux emplois stimulés par les nouvelles technologies. Les 10 % restants sont des emplois créés grâce aux effets d’entraînement favorables. Dans le contexte de la crise du coronavirus, c'est peut-être trop optimiste, mais il devrait être possible de pourvoir les nouveaux emplois. Il s’agit en effet souvent de profils techniques pour lesquels il y a déjà un manque.
Un impact différent selon le secteur et le niveau de formation
Nous concluons donc qu’il n’y aura pas de pertes d’emplois massives, mais qu’il n’est pas du tout certain qu’il y aura finalement un résultat net positif. De plus, les différences seront importantes aux niveaux régional et sectoriel et certains groupes de travailleurs seront plus touchés, comme les travailleurs peu qualifiés qui ont déjà des difficultés sur le marché du travail et sont touchés de manière disproportionnée par la crise sanitaire. Une polarisation croissante sur le marché du travail se profile à l’horizon. Afin de répondre aux différences importantes en matière d’impact selon le secteur et le niveau de formation des travailleurs, nous demandons des mesures politiques :
- La création de fonds de numérisation sectoriels obligatoires, alimentés par les contributions des employeurs et des pouvoirs publics, pour financer des projets de formation, d’accompagnement etc.
- Une identification des secteurs à haut risque qui seront soumis aux contributions obligatoires supplémentaires des fonds de numérisation
- Une réforme en profondeur du système d’outplacement
- Un système cohérent de crédits de formation pour les travailleurs qui perdent leur emploi
Investir dans la formation
Outre un accueil et un accompagnement suffisant des travailleurs qui perdent leur emploi, il faut mettre en place une politique cohérente d’éducation performante et, surtout, une culture solide de formation continue et permanente.
Nos affiliés indique également que les compétences requises pour leur job ont considérablement évolué ces dernières années, mais les chiffres montrent que cette évolution est compensée par le manque d’investissements des employeurs dans la formation. Quand on regarde la proportion de travailleurs qui ont suivi une formation au cours des quatre dernières semaines (8,2 % en 2019), la Belgique se situe en-dessous de la moyenne européenne. En outre, les chiffres du Conseil central de l’Économie montrent que les entreprises ont réduit leurs efforts de formation ces dernières années, malgré le développement technologique rapide. Vous en trouverez la preuve dans notre enquête : plus de la moitié des personnes interrogées indiquent qu’elles n’ont reçu aucune formation ou une formation de deux jours maximum en 2019. De plus, il existe un écart important entre les travailleurs peu qualifiés et les travailleurs hautement qualifiés, et ceux sous contrat précaire semblent également suivre moins de formation.
Afin d’éviter qu’un grand nombre de travailleurs ne soient exclus et que chacun ait la possibilité de recevoir une formation suffisante en fonction de l’évolution rapide des besoins en matière de compétences, nous demandons notamment :
- Un droit individuel et exécutoire à au moins 5 jours de formation par travailleur, également pour les contrats de travail temporaires, à temps partiel ou intérimaires.
- Des efforts de formation supplémentaires dans les secteurs à haut risque de digitalisation.
- Un suivi annuel des efforts de formation au niveau sectoriel, avec des contributions obligatoires supplémentaires aux fonds de numérisation pour les employeurs qui ne réalisent pas les efforts de formation requis.
- Chaque entreprise et chaque secteur doit faire un bilan de compétences tous les deux ans et également un plan de formation, élaboré chaque année au niveau de l’entreprise.
La santé, la sécurité et la vie privé
En raison de l’évolution technologique, certains emplois vont disparaître, mais d’autre part, les nouvelles technologies sont de plus en plus présentes sur le lieu de travail.. Tant dans l'industrie que dans les services, il n'y a guère d'emplois qui ne soient pas soutenus numériquement d'une manière ou d'une autre . Cette tendance va se poursuivre, nos affiliés le confirment aussi.
Les nouvelles technologies offrent des possibilités, comme sous-traiter des tâches physiquement éprouvantes, répétitives ou dangereuses, le télétravail …. Néanmoins, il y a également des risques non négligeables. Les nouvelles technologies au travail peuvent créer des risques pour la sécurité ou la santé. Par ailleurs, la disponibilité et l’utilisation constantes de nouvelles technologies peuvent augmenter le stress et créer un sentiment de pression professionnelle croissante. Ainsi, 36 % de nos affiliés déclarent souffrir d’une surabondance d’informations sur une base quotidienne ou hebdomadaire, et 19 % disent qu’ils ont le sentiment de devoir être disponibles en dehors du travail sur une base quotidienne ou hebdomadaire. Et qu’en est-il de la vie privée des travailleurs? L’état actuel de la technologie permet un contrôle approfondi mais aussi moins visible. Dans ce cadre, 40 % de nos affiliés déclarent qu’ils suspectent ou savent avec certitude que leur employeur les contrôlent digitalement.
Afin de maximiser les efforts positifs de la digitalisation au travail et de réduire autant que possible les risques pour la santé, la sécurité et la vie privée, nous demandons :
- Un élargissement et un approfondissement de la cct 39 (= cct sur l’information et la consultation sur l’impact social de l’introduction des nouvelles technologies)
- Un ancrage juridique du droit de déconnexion
- Un cadre juridique renforcé pour le télétravail, avec un droit au télétravail structurel d’au moins deux jours par semaine
- Une traduction des règlements RGPD en conventions collectives interprofessionnelles pertinentes
- La création, au sein de l’autorité de protection des données, d’un organe consultatif composé sur une base paritaire, ayant des pouvoirs de conseil et d’information sur les aspects sociaux de la vie privée
L’économie de plateforme
Un dernier développement important est la progression de l’économie de plateforme. Des plateformes telles que Uber et Deliveroo mettent à mal les statuts juridiques classiques des travailleurs. Après tout, ils se trouvent dans une zone grise entre le statut de salarié et celui d’indépendant, ce qui a des conséquences négatives importantes en termes de protection sociale et de rémunération. La CGSLB demande qu’une plus grande transparence soit imposée à ces plateformes vers leurs fournisseurs de services et le gouvernement. En outre, la protection sociale des travailleurs des plateformes devrait être renforcée et leur statut clarifié.
La digitalisation a également un impact important sur la concertation sociale et les relations avec le gouvernement, surtout en ce qui concerne la fracture digitale croissante dans la société.
La transformation digitale: dangers et opportunités.
Étude sur l’impact de la digitalisation dans le monde du travail
La publication complète (118 pages) peut être télécharée ici.