Vers un système de Dual Income Tax progressive
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Contexte[1]
Une réforme du système fiscal belge s’impose d'urgence afin d'évoluer vers des règles plus équitables et plus efficaces. Ceci est d'ailleurs reconnu par plusieurs institutions de premier plan. À la mi-septembre 2021, le Fonds Monétaire International (FMI) a publié un rapport consacré à la Belgique et son système d’impôt, dans le cadre de l’ « Article IV Consultation ».
Un extrait du rapport en question :
« L'introduction d'un impôt sur les plus-values doit être considérée comme une priorité pour lutter contre la non-neutralité et afin de réduire les opportunités d'arbitrage fiscal. Plus généralement, dans le cadre de la réforme de l'impôt sur le revenu, l’application du « modèle nordique » de double imposition des revenus pourrait être envisagée. Ce modèle combine un taux d'imposition forfaitaire relativement bas appliqué à toutes les formes de revenus du capital avec une imposition progressive appliquée à toutes les formes de revenus issus du travail. Bien appliqué, ce double système d'imposition du revenu permet de rétablir l'équité horizontale et d’éliminer les distorsions. Par exemple, imposer de la même manière les revenus d'entreprise et les revenus salariaux ferait disparaître les différences de charges fiscales moyennes entre l'entrepreneuriat et l'emploi salarié, éliminant ainsi les opportunités de planification fiscale.»
Indépendamment des recommandations internationales, il est temps de mettre en place un système de fiscalité des revenus du patrimoine qui soit plus fort et transparent et par lequel il soit mis fin aux exonérations octroyées de manière abusive. Aujourd’hui, nous constatons que les actifs financiers – notamment les actions – sont concentrés entre les mains d’une minorité. Une enquête du HFCS III menée en 2017 montre que seulement 9,8% des ménages belges possèdent des actions cotées en Bourse.[2] Il s'agit d'une baisse par rapport à 2014 (11%) et à 2010 (14,7 %). Par ailleurs, la part des ménages détenant des fonds d'investissement est limitée à 21,3%. S’il s’agit d’une part légèrement plus élevée par rapport à 2014 (21%) et à 2010 (17,6%), cela ne permet pas de compenser la part plus faible de ménages détenant des actions. La proportion de ménages détenant des actions d'une entreprise non cotée en Bourse, sans qu’il s’agisse d’indépendants ‘classiques’, est d'ailleurs beaucoup plus faible que celle disposant d’actions cotées en Bourse (1,4%).
Nous voyons donc que seule une partie limitée de la population possède des actifs financiers tels que des actions et des fonds d'investissement. Toutefois, cela ne dit rien sur la valeur totale du portefeuille détenu par les Belges. Au cours du premier trimestre de 2021, le patrimoine des Belges était de 1.478 milliards d'euros, soit trois fois le PIB (données de la BNB), l'essentiel se rapportant à des produits détenus par un petit segment de la population. À peine un tiers du patrimoine financier est détenu via les comptes courants, les comptes d'épargne et aussi l'argent liquide, alors que les divers types d'actions et fonds de placement (= sicav) représentent ensemble 40% des actifs financiers.
D’après les données de la HFCS III de 2017, 20% des Belges se partagent plus de 60% du patrimoine. En réalité, la répartition des actifs (financiers) est encore nettement plus asymétrique, car :
- les familles fortunées ont tendance à ne pas déclarer tout leur patrimoine. Il est même impossible d’en savoir plus sur les « Belges les plus riches ».
- les chiffres concernent la répartition de l'actif total, y compris l’habitation propre. Lorsque cette dernière n’est pas prise en compte, nous constatons que la quasi-totalité des actifs financiers et immobiliers autres que l’habitation propre est concentrée auprès de 20% des Belges
Dans le cadre de la recherche d’une fiscalité plus équitable et plus efficace, une idée rencontre de plus en plus de succès auprès des économistes et des politiciens : la Dual Income Tax. Comme déjà indiqué, le FMI plaide pour l’introduction d’un tel système en Belgique.
Le principe de base consiste à faire une seule distinction entre d'une part les revenus issus du travail et d’autre part les revenus en provenance du patrimoine. Chaque catégorie est imposée selon un tarif propre : les revenus du travail sont taxés selon des taux progressifs – comme c’est le cas aujourd’hui – et le patrimoine est imposé selon un seul taux, sans qu'il n'y ait de régimes d’exceptions ni de taux distincts (la Norvège par exemple applique un taux de base de 27%). Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays, un tel système permettrait d’imposer les plus-values sur actions, les revenus locatifs réels, etc.
La Dual Income Tax a le mérite d’être simple et neutre d’un point de vue économique. Ce système évite que certaines formes d’investissements et certains types de revenus du patrimoine ne soient traités de manière plus avantageuse que d'autres. De plus, cela permet d’imposer tous les revenus issus du patrimoine de manière correcte. Toutefois, le grand défaut de ce système est qu'il n'est en rien progressif : une personne qui retire un revenu de 2.000 euros de son patrimoine sera taxée aussi lourdement que celle qui en obtient 20.000 euros.
C’est la raison pour laquelle, la CGSLB formule une proposition alternative : « la Dual Income Tax progressive ». Cette proposition poursuit un double objectif :
- Rendre la fiscalité belge plus équitable
- Baisser la pression fiscale sur les travailleurs
Dans les chapitres ci-dessous, les grandes lignes de la proposition de la CGSLB sont expliquées (sa première version datant de 2017). Pour situer le contexte dans lequel elle a été élaborée, il faut se rappeler que le gouvernement Michel I avait décidé d’introduire un tax shift, qui n’était rien d’autre qu’une baisse d'impôt avec à la clé un trou de près de 5 milliards d'euros dans le budget. Cette période gouvernementale était caractérisée par un retour d’une politique d'austérité et de modération salariale. Dans ce contexte, une proposition visant à réformer la fiscalité en profondeur afin d’augmenter le pouvoir d'achat des travailleurs et des assurés sociaux était la bienvenue. Il était grand temps aussi de réduire la pression fiscale sur le travail.
Aujourd'hui, nous nous réveillons au lendemain de la pandémie du Covid-19. Bien que l'impact économique et social de cette crise sans précédent soit en définitive moins important que ce que l'on craignait au début, certains problèmes de l'économie et du marché du travail belges sont devenus plus apparents. S’il faudra surmonter les défis énormes de notre marché de l’emploi, force est de constater que le pouvoir d'achat des Belges n'a plus augmenté depuis une décennie. Un virage fiscal qui permettrait de disposer d’un salaire net plus élevé pourrait non seulement inciter davantage de personnes à travailler, mais aussi améliorer le pouvoir d'achat en vue de stimuler la consommation intérieure et de relancer durablement l’économie belge.
Entre-temps, une nouvelle équipe s’est installée en 2020. Si le gouvernement De Croo a décidé d'entamer le grand chantier d'une vaste réforme fiscale visant à diminuer la charge sur le travail, il ne l’a pas encore concrétisé. Avec notre proposition révisée, nous souhaitons apporter une contribution constructive au processus de consultation au sein du gouvernement.
Enfin, soulignons que cette proposition est neutre d’un point de vue budgétaire et préserve notre sécurité sociale. Il ne sera pas touché aux cotisations sociales, ni du côté des dépenses ni du côté des recettes. De cette manière, la préservation du financement de la sécurité sociale constitue un effet secondaire positif de la dual income tax progressive. Pour se protéger contre d’éventuelles recettes plus faibles qu'estimées, une réserve structurelle de 200 millions d’euros sera prévue (au moment où le système aura atteint sa vitesse de croisière).
Que la sécurité sociale est un acquis précieux a une fois de plus été démontré au cours de cette pandémie ! Son importance ne peut en aucun cas être sous-estimée et il est dès lors hors de question pour la CGSLB d’y toucher.
Téléchargement : la Proposition CGSLB - vers une dual income tax progressive - version 2022
[1] Banque Nationale de Belgique, Premiers résultats de la troisième vague de l'enquête sur les finances et la consommation des ménages en Belgique, 2020; Banque Nationale de Belgique, Actifs et engagements financiers des particuliers et sociétés non financières, consulté en septembre, 2021.
[2] La Household Finance and Consumption Survey (HFCS) ou l’Enquête sur les finances et la consommation des ménages est une enquête menée tous les trois ans auprès de 10 000 ménages belges. Elle évalue les revenus, la consommation et la richesse des Belges. L'enquête est réalisée dans chaque pays de l'UE par la banque centrale nationale et est coordonnée dans ce cadre par la BCE.