À la recherche d’une protection sociale pour les travailleurs des plateformes

28/01/2022 - 13h

Chauffeurs de VLC, livreurs de plats préparés… nous voulons que des propositions concrètes soient mises sur la table afin d’amé- liorer le sort des travailleurs des plateformes et qu’ils puissent bénéficier d’un véritable statut leur accordant des droits sociaux.

En tant que syndicat, nous souhaitons que les travailleurs puissent exercer leur profession dans un cadre protégé et légal qui leur ouvre des droits en matière de sécurité sociale (assurance maladie, pension, chômage…).

FAUX TAXIS, VRAIS CHAUFFEURS

Les chauffeurs de véhicules aisément recon- naissables à leur plaque commençant par T-LA ont à plusieurs reprises bloqué la circulation à Bruxelles suite à une décision de la cour d'ap- pel qui a poussé Uber à fermer la plateforme UberX le 26 novembre 2021. Les chauffeurs de LVC (Location de voiture avec chauffeur) qui utilisaient cette plateforme ne pouvaient plus exercer leur activité. Une solution temporaire « sparadrap » du gouvernement a depuis été adoptée par la Commission afin de permettre aux chauffeurs de continuer à effectuer leurs courses jusqu’au 22 juillet 2022.

En tant que partenaires sociaux, nous voulons trouver des solutions dans ce cadre-là. Les chauffeurs Uber sont pour nous des chauffeurs de taxi. Il est donc important qu’ils soient re- connus comme tels, ainsi que tous les services de transport rémunéré de personnes. Une ordonnance sur la réforme du secteur va être émise dans le courant de cette année. Nous espérons qu’elle ira dans ce sens afin de per- mettre à tous les chauffeurs de travailler sous les mêmes conditions.

CONCURRENCE EN PLEINE CROISSANCE

Depuis 2014, les plateformes comme Uber et Heetch sont apparues. Ces véhicules LVC sont commandés par catégories : luxe, grand luxe, cérémonie et minibus. En février 2020, une étude a été effectuée par le consultant Deloitte pour Bruxelles-Mobilité qui permet de mesurer l’ampleur du problème auquel les compagnies de taxis sont confrontées à l’heure actuelle.

L’émission « Derrière les chiffres » de la RTBF a enquêté de manière approfondie sur l’utilisa- tion de la plateforme et cite que contrairement au marché des taxis, le marché des voitures de location avec chauffeur est en pleine expansion depuis 2013. Entre 2013 et 2019, « le nombre d’autorisations et d’exploitants a été multiplié par un facteur supérieur à 100, passant ainsi de 68 en 2013 à 775 en 2019." Du côté du nombre de véhicules, la croissance est encore plus im- portante : le nombre de voitures de location avec chauffeur est passé de 235 à 983, ce qui repré- sente une augmentation de plus de 400 %. »

Le 5 mars 2021, le ministre-président de la Ré- gion, Rudi Vervoort, annonçait une croissance encore supérieure : « Sur le terrain, les demandes d’autorisation de service de LVC non soumises à un numerus clausus – ce qui n’est pas le cas des taxis – ont explosé. En 2015, on comptait 217 LVC et aujourd’hui, en mars 2021, il y en a 1191 qui disposent d’une plaquette bruxelloise. Cela correspond à une augmentation de 450 % ». À titre de comparaison, en 2020, le nombre de taxis présents à Bruxelles était de 1300.

Le cabinet Ipsos a réalisé une enquête pour Uber sur les travailleurs à Bruxelles : 52 % des chauffeurs travailleraient uniquement pour Uber, surtout dans les chauffeurs de moins de 30 ans.

CONCURRENCE DÉLOYALE

L’émission a conclu qu’il était impossible de comparer les prix pratiqués par une plate- forme comme Heetch ou Uber avec ceux des compagnies de taxis. Pour certains trajets ou certains moments de la journée, les prix pra- tiqués peuvent être plus élevés ou plus bas que ceux des taxis. Cela s’explique par leur méthode de tarification. Les taxis utilisent des tarifs par prise en charge et au kilomètre fixe alors que les plateformes LVC utilisent les al- gorithmes (type de service utilisé, nombre de demandes…).

Le problème n’est pas l’augmentation du nombre de ces travailleurs, mais la concur- rence déloyale qu’ils exercent au détriment des compagnies de taxis qui engagent leurs travailleurs sous contrat d’employés et sont soumises à un numerus clausus pour leurs taxis alors que les demandes d’autorisation de service LVC non.

SOLUTION TEMPORAIRE

La commission des affaires intérieures du Par- lement bruxellois a approuvé le 9 décembre 2021 la solution temporaire proposée per- mettant aux chauffeurs du secteur de LVC de reprendre leur travail en Région bruxelloise dans un cadre légal et a été adoptée lors de la réunion plénière du 10 décembre 2021.

Dans cette ordonnance, les conducteurs doivent travailler sur la base d'un permis d'ex- ploitation délivré à la suite d'une demande in- troduite au plus tard le 15 janvier. Ils doivent avoir la preuve qu'ils exercent cette activité pendant une moyenne de 20 heures par se- maine et qu'il s'agit de leur occupation princi- pale. Les trajets effectués doivent obligatoire- ment avoir été commandés préalablement via une plateforme.

Ces chauffeurs LVC ne peuvent donc ni prendre de clients sans réservation ni stationner sur la voie publique ou sur un emplacement réservé aux taxis.

COURSIERS À VÉLO

Les coursiers qui travaillent pour des plate- formes comme Uber Eats et Deliveroo ont éga- lement besoin d’être mieux protégés.

Il n’y a ni revenu minimum, ni protection so- ciale, ni assurance accident pour eux-mêmes et pour leur outil de travail (vélo, trottinette, scooter…). N’importe qui disposant d’un smart- phone et d’un moyen de transport peut devenir livreur en remplissant un formulaire en ligne. Le Collectif des coursiers, la Fédération euro- péenne des travailleurs des transports (ETF) et les trois syndicats du secteur FGTB-UBT, CSC, CGSLB ont déjà mené des actions en 2021 pour une meilleure protection des droits et conditions de travail des coursiers.

AUTRES MODÈLES ÉCONOMIQUES

En Belgique, on retrouve aussi le troisième grand nom de la livraison de repas à domicile : JustEat-TakeAway.com. L’entreprise salarie l’ensemble de ses livreurs via des contrats d’intérim.

Un nouvel acteur opère depuis 2021 en Bel- gique : Gorilla’s. Ce dernier se concentre sur la livraison express à domicile pour des su- permarchés (Colruyt, Jumbo Supermarkets) à Bruxelles et à Anvers en scooter ou à vélo. Afin de pouvoir effectuer leur course en 20 minutes maximum, ils ont des entrepôts locaux avec plus de 1500 produits.

Il y a de nombreux concurrents sur le marché européen comme Weezy, Getir, Dija, Stuart, Frichti, Nestor, Zomato, Swiggy et Food Panda qui risquent également d’élargir leurs activités vers la Belgique.

PAS DE LIEN DE SUBORDINATION

L’Auditorat du Travail a fait mener par des ins- pecteurs de l’ONSS une enquête sociale, qui a débuté en 2017, sur le statut des coursiers et a porté l’affaire devant le tribunal du travail de Bruxelles. Le procès « Deliveroo » a débuté le 28 octobre 2021. Une vingtaine de coursiers s’étaient également joints à l’action et sollici- taient la reconnaissance du statut de salarié ainsi que la déclaration à l’ONSS de leurs pres- tations et des arriérés de salaire depuis 2018. Dans son jugement du 8 décembre 2021, le tri- bunal a estimé qu’il n’y avait pas de lien de su- bordination entre les coursiers et Deliveroo. La justice belge a tranché et les considère comme des indépendants. Ces coursiers ne doivent de ce fait pas bénéficier d’un contrat de travail ni des obligations qui en découlent pour l’em- ployeur. Ils ne sont pas des salariés.

LE COMBAT N’EST PAS FINI

L'Auditorat a d'ores et déjà interjeté appel de cette décision. C'est la Cour du travail de Bruxelles qui va donc désormais devoir tran- cher la question du statut des coursiers. En 2018, la CRT (Commission administrative de règlement de la relation du travail) avait estimé que la relation entre le coursier et la plateforme de livraison de repas Deliveroo s’apparentait plus à celle d’un salarié face à un employeur qu’à celle d’un collaborateur indé- pendant face à un client. Cet avis a été invalidé par le tribunal du travail de Bruxelles.

Depuis 2017, en Belgique, les coursiers de Deliveroo n’ont plus pu passer par l’entreprise so- ciale SMART qui permet d’acquérir un statut de salarié durant des périodes de travail définies. Afin de pouvoir continuer à travailler pour la plateforme, les travailleurs ont dû choisir entre deux types de relation :

soit prestataires de service dans le cadre de l’économie collaborative, un statut par- ticulier avec un régime fiscal avantageux en dessous d’un certain plafond de revenus
soit indépendant.

Suite au jugement rendu le 8 décembre, les coursiers ne peuvent plus opter que pour la deuxième proposition de Deliveroo et opérer comme indépendants. Ils doivent dorénavant payer des cotisations sociales et peut-être même les arriérés.

PRÉSOMPTION DE RELATION DE TRAVAIL

La situation est inverse aux Pays-Bas, où le livreur n’est pas considéré comme un indépen- dant suite à une décision du Tribunal en 2019 et à un jugement de la cour d’appel en 2021. Deliveroo est considéré comme un service de livraison et est soumis à la Commission pari- taire du transport, de ce fait à leur convention collective de travail. Plus de 6 millions d’euros d’arriérés de primes de pension devront être payés par la plateforme de livraison.

La CGSLB réclame une présomption de rela- tion de travail pour les travailleurs prestant sur une plateforme numérique. Cela permettrait à ces travailleurs de bénéficier de l’ensemble des protections prévues par le droit du travail. De plus, la CGSLB estime que le statut de salarié correspond à la situation de fait de la majorité des travailleurs des plateformes.

Aurélie

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