Peut-on choisir le droit applicable et le tribunal compétent dans son contrat de travail afin d'éviter des discussions en cas de conflit ?

18/11/2022 - 10h

Toute le monde ne travaille pas près de son domicile. Il est tout à fait possible d’être occupé à l’étranger par un employeur établi en Belgique ou vice versa. Mais que se passera-t-il en cas de conflit entre l'employeur et le travailleur : quel tribunal sera compétent ? Peut-on préciser le tribunal compétent dans son contrat de travail ou est-ce prévu de manière impérative par la loi ? Cette question a été au cœur des débats d’une affaire récemment tranchée par la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 7 juin 2022, RG 2021/AB/220).

Les faits

Un travailleur de nationalité belge avait signé un contrat de travail en Espagne avec une société établie à Dublin. Dans le contrat il est prévu, qu’en cas de litige, le droit irlandais s’applique et que les tribunaux irlandais sont compétents.

Étant donné que ce travailleur, qui faisait partie du personnel de cabine, exerçait sa fonction dans des avions immatriculés à Dublin, l'employeur présumait que ses tâches professionnelles étaient effectuées en Irlande.

Le travailleur, qui était mis à la disposition de la société Ryanair,  commençait et terminait ses prestations de travail chaque jour à l'aéroport de Bruxelles Zaventem. C’était à cet endroit qu’il devait s’enregistrer pour son travail tous les jours. Le travailleur présumait que son lieu de travail était établi en Belgique.

À la suite d'une action de grève en 2018 à laquelle le travailleur a participé et lors de laquelle il s'est exprimé dans les médias, l’intéressé a été convoqué par l'employeur à Dublin et a été licencié.

Le travailleur a intenté une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles et a réclamé le paiement d'arriérés de salaire et d’une indemnité de rupture. Il a en outre demandé à être indemnisé pour la violation de ses droits dans le cadre de ses activités syndicales.

Le tribunal du travail s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige, à la suite de quoi le travailleur a décidé de faire appel.

L'objet du litige

Les questions auxquelles la Cour devait répondre étaient les suivantes :

  • Quel est le tribunal normalement compétent ? Quel est le droit normalement applicable ?
  • Les parties peuvent-elles déroger à ces règles et convenir entre elles du tribunal compétent et du droit applicable ?

La Cour ne s’est pas prononcé sur le fond du litige.

L’arrêt

En ce qui concerne le tribunal compétent

Il existe une réglementation européenne qui régit cette matière (article 21 du règlement (UE) n°1215/2012) :

« Un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait [… ] devant la juridiction du lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail »

Toutefois, dans le monde spécifique du personnel de cabine des avions, que faut-il entendre par la notion : « lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail » ?

La Cour de justice de l'Union européenne a déjà défini cette notion par le passé, à l’occasion d’arrêts précédents dans des affaires où des plaignants se sont opposés à Ryanair (CJUE 14 septembre 2017, affaires n° C-168/16 et n° C-169/16) :

« Le lieu à partir duquel le personnel navigant travaille ne peut être automatiquement assimilé au lieu d'enregistrement des avions de la compagnie aérienne ».

Sur la base des faits, à savoir que le travailleur s’enregistrait pour son travail à Zaventem, que c’était là l’endroit où il recevait ses instructions et où sa journée de travail commençait et se terminait, la Cour a décidé que l'intéressé travaillait effectivement habituellement en Belgique, et qu'il était donc possible de porter l'affaire devant le tribunal du travail de Bruxelles.

Ensuite, la Cour a étudié la possibilité de déroger à cette disposition, et a dès lors examiné la validité de la clause contenue dans le contrat de travail désignant une autre juridiction comme étant compétente.

Selon l'article 23 du règlement européen, il ne peut être dérogé aux dispositions que par des conventions postérieures à la naissance du différend, ou qui permettent au travailleur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées.

Dans cette affaire, le contrat de travail (conclu antérieurement à la naissance du différend) donne la compétence exclusive au tribunal irlandais, ce qui est contraire à l'article 23 du règlement européen. Le choix contractuel n’est donc pas opposable au travailleur. La Cour décide que le traitement de cette affaire dans le pays  où l'intéressé travaillait habituellement – la Belgique – est valable.
 

En ce qui concerne le droit applicable

Ici aussi, il faut se référer à un règlement européen (article 8 du Règlement Rome I) :

En principe, le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix ne peut toutefois pas avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable.

Une disposition nationale peut effectivement obliger les parties devant le tribunal du travail à choisir le droit du travail national.

Ainsi, en l’espèce, la Cour du travail ordonne la réouverture des débats, afin de déterminer sur quelles parties de la requête il ne peut être dérogé par accord.

Quels enseignements peuvent être tirés de cette affaire ?

Lorsqu’on accepte un emploi avec un élément transfrontalier, il est important de bien s'informer à l'avance de ses droits et obligations, tant en termes de rémunération et de conditions de travail qu’en ce qui concerne la juridiction compétente et le droit applicable !

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