Une semaine s’est écoulée depuis la manifestation syndicale qui a réuni plus de 120.000 personnes dans les rues de Bruxelles. Après les premiers entretiens avec le “kern” et le vice-premier ministre Peeters, les syndicats ont dû constater que le gouvernement ne laissait pas encore la moindre ouverture pour une politique qui soit à la fois plus équilibrée et plus équitable, et qui soit en outre plus favorable à la croissance et à l’emploi. Cette ouverture n’existe pas non plus dans le chef des employeurs. Dès lors, nous sommes contraints de maintenir notre plan d’action – et de poursuivre nos 4 objectifs (sauvegarder et renforcer le pouvoir d’achat, maintenir une sécurité sociale fédérale et forte, investir dans une relance durable et dans l’emploi, davantage de justice fiscale).
Les mesures présentées restent totalement déséquilibrées et inéquitables, parce qu’elles demandent systématiquement des efforts aux travailleurs salariés, aux demandeurs d’emploi, aux malades et aux pensionnés, alors que les entreprises et les investisseurs sont épargnés. Alors que les actionnaires ont touché 55 milliards d'euros en 2013, des moyens sont transférés vers les entreprises et les investisseurs de manière inefficace et injuste.
Les seules nouvelles initiatives "significatives" sont les 80 millions pour la taxe sur les opérations boursières , les 150 millions pour la taxe bancaire, auxquelles s’ajoutent les 120 millions de la taxe de la transparence -déjà décidée sous le gouvernement précédent-. L’ensemble de ces nouvelles mesures rapportent moins que ce que l’on rend aux nantis par la réduction de l’impôt sur les bonis de liquidation (une mesure qui coûte environ 750 millions aux finances publiques).
Dans le même temps, les chefs d’entreprises peuvent à nouveau plus facilement imputer leurs dépenses privées sur le compte de leur entreprise, sans s’exposer à de grands risques ni à de fortes amendes et sans que la probabilité d’être pris soit élevée. Pendant ce temps, le secrétaire d’Etat Bart Tommelein peut se défouler dans sa lutte contre la fraude sociale. Deux poids, deux mesures.
Le problème n’est même pas que les revenus de la fortune ne sont pas suffisamment mis à contribution. Il est bien pire : on leur donne encore de l’argent. Dès lors, ceux qui travaillent, ceux qui cherchent un emploi, ceux qui sont malades ou pensionnés, et eux seuls, doivent payer l’addition à trois reprises :
- 8 milliards d’assainissement des finances publiques et des services publics;
- 4 milliards de réduction du coût salarial pour les entreprises et leurs actionnaires;
- 400 millions de glissement de l’impôt en faveur des revenus de la fortune.
Tout cela sans la moindre garantie que ces mesures permettront d’améliorer la croissance et l’emploi.
Au-delà de la sécheresse des chiffres, nous voyons aujourd’hui comment on essaie d’envelopper d’un épais brouillard cette injustice flagrante et le refus des nantis d’accomplir leur part de l’effort. Nous voyons comment une contre-offensive est menée dans les médias. Elle n’hésite pas à recourir à des statistiques trompeuses et à mettre en doute la crédibilité scientifique d’experts.
Pourtant, il suffit de feuilleter le dernier Taxation Working Paper n° 19 de l’OCDE (cf. http://www.oecd-ilibrary.org/taxation/oecd-taxation-working-papers_22235558 ), pour constater que :
- La Belgique se distingue par un des taux d’imposition moyen sur les bénéfices des entreprises (impôt des sociétés + précompte mobilier sur les dividendes) les plus bas de l’OCDE : 31 %, ce qui nous place en 31e position sur 36. La moyenne de l’OCDE est de 41,8 %. Quant à nos voisins, dont nous devons suivre l’évolution des coûts salariaux, mais uniquement ce critère-là, la France arrive en tête avec 61 %; Pays-Bas : 55 %; Allemagne : 49 %. À propos: 52 % aux Etats-Unis (cf. figure 1);
- La Belgique connaît le taux d’imposition réel le plus faible de tous à l’impôt des sociétés : 8,5 % soit à peine un quart de notre taux officiel (33,99 %). (Cf. tableau 1 de l’étude de l’OCDE).
- Notre précompte mobilier libératoire (25 %) est même fort bas: il est inférieur à la moyenne de l’OCDE et en tout cas inférieur à celui de nos voisins: 44% en France, 30 % aux Pays-Bas et 26 % en Allemagne. Il est d’ailleurs nettement inférieur à celui des Etats-Unis : 42 % (cf. figure 7).
- Notre taux légal d’imposition sur les bénéfices sur actions est le plus faible de tous : à peine 8 %, alors que la moyenne de l’OCDE est de 36,8 %. Ce taux est de 60 % en France, 55 % aux Pays-Bas, 49 % en Allemagne et 52 % aux Etats-Unis (cf. figure 9).
Les syndicats ne sont pas seuls à réclamer un impôt sur les plus-values digne de ce nom. Bon nombre de fiscalistes et d’économistes partagent aujourd’hui cette idée. La Banque nationale de Belgique et le Bureau du Plan ont aussi émis cette suggestion il y a quelques années. La Commission européenne a proposé la même chose en début d’année. Marc Coucke, l’ex-CEO d’Omega Pharma, l’a d’ailleurs également dit (brièvement) l’an dernier.
Le Conseil Supérieur des Finances a récemment découvert qu’un impôt sur les plus-values sur actions ou sur l’immobilier (à l’exclusion de la maison d’habitation) peut rapporter en moyenne 3,8 milliards d’euros. Mais non, le gouvernement préfère appauvrir les travailleurs en faisant un cadeau de 2,6 milliards d’euros (rien que pour le secteur privé) aux employeurs par un saut d’index et par des coupes sombres de 5 milliards dans la sécurité sociale.