Un travailleur accusé de vol a signé une convention de rupture de commun accord. Par la suite, il prétend avoir signé ce document sous la contrainte, car l'employeur l'aurait menacé de le licencier pour faute grave et de déposer plainte auprès de la police.
La Cour du Travail rappelle les principes concernant la validité d’une convention de rupture de commun accord.
Les faits
Le travailleur a été engagé comme ouvrier polyvalent pour exercer la fonction de ‘vendeur comptoir rangement marchandises’. Après avoir visionné les images de la caméra de surveillance, l’employeur est convaincu que le travailleur a empoché le montant payé de la facture et n’a pas encodé cette dernière. Suite à cet événement, le travailleur a été auditionné. Au cours de cet entretien, une convention de rupture de commun accord a été signée.
Le travailleur prétend ensuite avoir contesté les accusations de vol et avoir fait l’objet de menaces de licenciement pour motif grave et de plainte à la police pour le pousser à signer la convention sous la contrainte. De plus, son employeur lui aurait promis de reconsidérer sa décision à condition qu’il signe la convention préalablement.
Selon l’employeur, le travailleur a immédiatement reconnu les faits qui lui étaient reprochés sans invoquer des erreurs de manipulation informatique. Afin de ne pas le pénaliser, il lui a proposé de signer une convention de rupture de commun accord, ce que le travailleur a accepté.
C'est seulement bien plus tard que le travailleur a tout contesté et a réclamé une indemnité de rupture.
Le jugement de la Cour
La Cour du Travail a fait une synthèse précise de la notion de violence et de la jurisprudence en la matière.
Le travailleur a signé la convention (= consentement), mais un consentement peut être vicié à la lumière des articles 1109 à 1115 du code civil, notamment lorsqu’il a été extorqué par violence.
La Cour rappelle la définition de la violence et la jurisprudence de la Cour de Cassation en la matière : pour constituer une cause de nullité d'une convention, il ne suffit pas de prouver l'existence d'une contrainte. Les quatre conditions cumulatives suivantes doivent être remplies.
En effet, la contrainte doit :
- Être déterminante du consentement : la violence ne doit pas simplement avoir influencé la signature de la convention.
- Faire impression sur une personne raisonnable : compte tenu des circonstances de l’espèce et de l’appréciation du caractère raisonnable eu égard aux qualités personnelles de la victime (âge, sexe, etc.)
- Faire craindre un mal considérable : selon la jurisprudence de la Cour du Travail, la violence peut être physique ou morale. La menace peut viser l’intégrité corporelle, la vie, la santé, mais aussi la liberté, l’honneur, la réputation ou le patrimoine. La Cour explique que la crainte doit être contemporaine de la conclusion de l’acte et avoir pour cause une menace réelle.
- Être injuste et illicite : la violence ne peut être motivée par l’exercice d’un droit et non fondée.
Il appartient à la personne qui invoque la violence morale de la prouver. De simples allégations étayées par des éléments tendant à les rendre vraisemblables ne sont pas suffisantes.
Selon la Cour, le travailleur ne peut prétendre à une indemnité de rupture ou à une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable que pour autant que la convention soit annulée pour vices de consentement.
La Cour estime que la violence n’est pas démontrée dans cette affaire. La Cour constate que l’employeur disposait d’éléments suffisants pour accuser le travailleur d'avoir commis une faute grave. Le fait d’auditionner le travailleur et de lui proposer une rupture de commun accord, même rédigée à l’avance, ne constitue pas en soi un abus de droit. Il ressort de l’échange des mails ultérieurs que l’entretien s'est déroulé dans des conditions correctes.
La Cour remarque en outre que :
- le fait que le travailleur ait reconnu avoir commis une erreur, ait demandé à se faire pardonner et à pouvoir regagner la confiance, de ne pas divulguer le sujet des discussions, démontre que le problème était plus grave qu’un simple problème de manipulation informatique ;
- le ton utilisé dans les différents mails convainc la Cour que la version du travailleur qui prétend avoir été terrorisé par le dépôt d’une plainte n’est pas crédible ;
- le texte de la convention est clair et court de sorte que le travailleur ne pouvait pas se méprendre sur son contenu.
La Cour conclut que le travailleur ne démontre pas que la contrainte avait une cause injuste et illicite ni que l’employeur a abusé de son droit eu égard aux circonstances dans lesquelles la convention a été signée.
En signant la convention de rupture de commun accord le travailleur n’a plus droit à une indemnité pour avoir perdu son emploi.
Source : Cour du Travail de Liège – Division Namur, Chambre 6-B, 21 avril 2020 – RG 2019/AN/23