Remplacer l’humain par des programmes intelligents afin de réduire les coûts, c’est ce qui était à craindre avec le développement fulgurant de l’IA ces dernières années. C’est devenu une réalité pour une partie du personnel administratif des hôpitaux Helora. Jasmine Pirson, secrétaire médicale dans le service pneumologie sur le site de Jolimont, nous livre son témoignage.
Le 9 décembre 2024, à la demande des syndicats, une Assemblée générale s’est tenue entre la direction et le personnel. L’annonce a été comme un coup de massue pour les travailleuses et travailleurs : en raison d’un déficit de quelque 30 millions d’euros, une grande partie du personnel administratif, principalement les secrétaires médicales, allait être licencié. La direction parle de 60 équivalents temps plein, dont 40 sur le seul site de Jolimont, à La Louvière. Les syndicats sont alors entrées en négociations pour tenter de limiter les dégâts.
«C’est la surprise, la stupéfaction, puis la tristesse et la colère que nous avons ressenti lors de l’annonce »
Remplacés par l’IA
Depuis environ 2 ans, les secrétaires médicales travaillaient avec un logiciel de reconnaissance vocal dopé à l’IA qui retranscrit le courrier des médecins, ce qui constitue une grande partie de leur travail. « On devait relire pour corriger les fautes et la mise en page, car tout n’était pas parfait », témoigne Jasmine. Désormais, il n’y aura plus de relecture, puisque tout fonctionnera uniquement sur base de ce programme. Quant au personnel de l’accueil, il serait remplacé par des bornes qui géreront à la fois les rendez-vous et la redirection des visiteurs vers les bonnes routes. « C’est la surprise, la stupéfaction, puis la tristesse et la colère que nous avons ressenti lors de l’annonce », se souvient Jasmine, « nous nous attendions certainement à de gros changements dans le fonctionnement de l’hôpital, mais pas à une telle vague de licenciements ».
Personnel en grève
Lundi 27 janvier, le personnel du groupe Helora s’est mis en grève afin de montrer son inquiétude quant au déroulement des négociations. Depuis l’annonce, travailleuses et travailleurs se levaient le matin avec la boule au ventre, sans savoir ce qui les attends dans les jours et semaines qui suivent. Leur emploi sera-t-il sauvé ? Quelle indemnité recevraient-ils en cas de licenciement ? Peuvent-ils trouver un autre emploi ailleurs ? Comment payer les factures qui continuent d’arriver ? L’incertitude est totale. Un contexte difficile pour le personnel concerné. « Une cellule de reconversion va d’abord être mise en place en interne, mais je vois mal comment une secrétaire médicale pourra travailler dans d’autres services, ce sont des métiers totalement différents », s’inquiète Jasmine.
Des enjeux qui dépassent le groupe hospitalier
L’origine de cette décision, à savoir le lourd déficit du groupe Hélora, est dû à un sous-financement de la part du gouvernement. C’est pourquoi les secteurs du Non Marchand ont manifesté le 7 novembre dernier, rassemblant à Bruxelles plus de 30 000 personnes. Il est urgent que les autorités refinancent massivement tous ces secteurs, essentiels à la population et au bon fonctionnement de la société. C’est en raison de tels sous-financement que les hôpitaux font le choix de la déshumanisation de leur service, avec des conséquences directes pour l’emploi, mais aussi sur la qualité globale des soins. De plus, d’autres hôpitaux ont déjà recours aux mêmes programmes. Le risque est donc bien réel de voir de telles annonces surgir dans tout le pays.
Un préaccord conclu
Début février, la direction et les syndicats se sont quittés sur un préaccord qui a ensuite été validé par les secrétaires médicales. Celles-ci pourront choisir un départ volontaire avec un préavis payé et une prime mensuelle selon l’ancienneté. Si elles souhaitent rester, une cellule de reclassement qui a démarré le 10 février et s’étend sur une période de 9 mois. Les secrétaires médicales seraient ainsi formées à d’autres jobs au sein du groupe Helora. Enfin, il leur sera aussi proposé de diminuer leur temps de travail.
Le bassin Ouest face aux restructurations
Du côté du bassin Ouest, autour de Mons, une action de grève a également eu lieu, quelques jours après l’annonce de la direction de fusionner des services. Ainsi, certains services en doublon seront déménagés pour ne former plus qu’un, permettant ainsi des économies d’échelle. Malgré cette grève, le dossier montois a été moins conflictuel : la mobilisation a permis d’engager des négociations axées sur la sauvegarde de l’emploi dans toute la région, aboutissant à des garanties pour une période de deux ans.
Malgré cet accord temporaire, les incertitudes demeurent, notamment avec le projet de construction d’un super hôpital montois. Une telle structure impliquerait inévitablement une réduction du personnel. La question du site retenu pour ce futur hôpital fait encore débat. Helora possède un terrain à Jemappes, mais les études de mobilité y sont peu concluantes et l’opposition des riverains complique la situation. De plus, l’urgence est réelle : pour bénéficier des subsides, les travaux doivent impérativement débuter avant la mi-2026. D’ici là, les travailleurs restent dans l’expectative, en attente des décisions politiques et stratégiques qui façonneront leur avenir.