La présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne met tout en œuvre pour faire adopter, avant la fin de l’année 2023, le pacte européen sur la migration et l’asile. Si tel ne devait pas être le cas, la Belgique a prévu de mener les négociations à leur terme avant les élections européennes de juin 2024. Nous, signataires de cette carte blanche, demandons aux autorités belges de rejeter ce pacte lors des trilogues prévus du 16 au 19 décembre 2023. La présidence belge, qui démarre en janvier, doit être l’occasion de redémarrer les discussions sur base d’une approche radicalement différente en direction de la justice migratoire. A un pacte qui s’inscrit contre la migration et l’asile, il faut substituer l’approche ouverte, juste et solidaire dont s’inspire le Pacte des Nations Unies signé à Marrakech en 2018.
Ce pacte n'apporte aucune nouvelle solution à court et à long termes
Depuis plus d’une décennie, les politiques migratoires européennes sont de plus en plus coûteuses, inefficaces et violatrices des droits fondamentaux. Les conséquences de la stratégie européenne de mise à distance des personnes exilées (externaliser, dissuader, détenir, trier et expulser) sont la démonstration de son échec.
Le projet de pacte européen, lancé par la Commission en 2020, se voulait un nouveau départ, après les atermoiements de la décennie passée. Il propose des solutions éculées, qui produiront donc les mêmes effets sur les personnes exilées et les pays qu’elles fuient, traversent et où elles séjournent.
Pourtant, une réforme profonde et une approche multilatérale des politiques migratoires européennes sont non seulement nécessaires mais possibles : c’est l’esprit qui avait animé les discussions autour du Pacte mondial sur les migrations, adopté par de nombreux Etats, dont la Belgique.
Le pacte est une occasion manquée de réorienter la politique migratoire européenne
L’esprit positif et constructif qui avait permis l’adoption de ce texte en 2018 semble être révolu alors qu’il a été adopté par de nombreux Etat dont la Belgique. En effet, les cinq volets législatifs du pacte confirment le renforcement de la politique d’externalisation et de l’approche hotspot aux frontières (détention et tri) qui mettent à mal le droit d’asile. La fiction de non entrée (malgré la présence physique sur le sol européen, l’accès aux corpus des droits fondamentaux européens n’est pas garantis) et la mise en place d’une procédure d’asile express, basée sur le concept de pays d’origine sûr reviendront à banaliser les refoulements. Le pacte inscrira donc dans la législation européenne des pratiques contraires à la Convention de Genève sur les réfugiés. De plus, l’absence de monitoring effectif indépendant et de mécanismes de plaintes et sanctions en cas de violation du droit international aux frontières permettront à l’agence Frontex et à des gardes-frontières européens peu scrupuleux du respect des droits de poursuivre leurs violations en toute impunité.
Au-delà du droit de quitter son pays et d’exercer le droit d’asile, ce sont les droits des enfants qui seront affectés. Une fois le pacte adopté, les Etats membres pourront détenir pendant plusieurs semaines les personnes exilées dont des mineurs. Leurs empreintes seront prises, encodées et partagées à l’ensemble des agences européennes, favorisant les amalgames dangereux entre migration, asile, insécurité et criminalité.
Enfin, l’absence d’un mécanisme contraignant, permanent et équitable de solidarité, faute de réforme en profondeur du Règlement Dublin (qui désigne le premier pays d’entrée comme responsable de la demande d’asile), ne permettront pas d’enrayer les crises d’accueil successives. Aucun investissement conséquent n’est par ailleurs encouragé dans le pacte pour les alternatives à la détention, les voies légales et les opérations de sauvetage sur fonds européens.
Ce projet de pacte n’apportera donc aucune amélioration à la situation chaotique des pays de première entrée, ni à celle des personnes exilées. Il risque même de les aggraver. Il ne constitue donc pas une réponse valable aux enjeux des migrations internationales. En outre, du fait de sa complexité procédurale et de son coût excessif, il est tout simplement impraticable.
Il est encore temps de le rejeter et de repartir sur d'autres bases
Les négociations sur le pacte semblent en fin de parcours. Il est pourtant encore temps d’y mettre fin, au nom du respect des droits fondamentaux, socle des valeurs européennes. Un pacte est nécessaire pour construire une véritable politique européenne d’asile et de migration, en phase avec ces valeurs. Mais les textes en discussion ne constituent pas une base pour y arriver. Seule une vision juste et positive de la migration qui respecte le droit à l’asile, assure la solidarité intra- et extra-européenne, répartit équitablement les demandeurs d’asile entre Etats membres et garantit des voies sûres et légales de migration constitue un réel changement et une véritable solution durable pour tous et toutes. Nous appelons donc les autorités belges à ne pas soutenir ce pacte au cours des prochains trilogues et à profiter de la présidence de l’Union européenne pour redémarrer les discussions en vue d’établir une politique basée sur les droits humains, la solidarité et l’ouverture.
Liste des signataires : CNCD-11.11.11 ; CIRE ; FGTB ; ACV-CSC ; JRS ; MOC ; Monde des Possibles ; CEPAG ; Médecins du monde ; Saamo ; Caritas ; Centre Avec ; Belrefugees ; Collectif liégeois de soutien aux sans papiers ; ACLVB-CGSLB ; SB Overseas ; Amnesty International Belgique Francophone.