Sabine Slegers : la sécurité sociale se révèle encore plus indispensable en période de crise
« La sécurité sociale sert à accompagner les transitions et à stabiliser l’économie en temps de crise » écrivions-nous à l’occasion du 75e anniversaire de la sécurité sociale belge, fin de l’année passée. Nous étions loin de penserque notre position serait étayée par un exemple concret et dramatique si rapidement.
Entretien avec Sabine Slegers, Secrétaire nationale CGSLB qui, avec son équipe de collaborateurs, fait entendre la voix du Syndicat libéral dans les organes de gestion de la sécurité sociale.
Le filet de la sécurité sociale : en cas de revers personnel ou de crise générale comme celle que nous vivons actuellement, cette notion un peu abstraite devient subitement très concrète…
Sabine Slegers : « Beaucoup de gens en bénéficient pour le moment, dans plusieurs branches de la sécurité sociale. Rien que pour le chômage temporaire, ils sont déjà un million. S’ajoutent à cela tous les malades dont la branche soins
de santé a littéralement sauvé la vie, et tous les travailleurs et travailleuses soignés à domicile qui touchent leur salaire garanti ou des indemnités de maladie. Sans oublier les salarié·e·s des soins de santé pour qui le covid 19 a été reconnu comme maladie professionnelle (ce qui est maintenant aussi le cas des travailleur·euse·s des secteurs cruciaux et des services essentiels pendant la période de confinement).
Avant la crise, des voix s’élevaient pourtant pour réclamer des coupes claires dans le budget de la sécurité sociale !
SSL : « Et il y en a malheureusement eu de nombreuses, des coupes. Des économies ont été faites, trop. Les trois syndicats n’ont pas cessé de s’y opposer à tous les échelons de la concertation sociale et dans les comités de gestion de la sécurité sociale, et où nous siégeons pour faire entendre la voix de nos affiliés. Nous sommes descendus à plusieurs reprises dans la rue pour protester contre le démantèlement des régimes de sécurité sociale. Et nous continuons à tirer la sonnette d’alarme pendant la crise sanitaire. Un chômeur temporaire reçoit normalement des allocations représentant 65 % du salaire moyen plafonné et doit avoir travaillé 312 jours comme salarié au cours d’une période de référence. Jusqu’à la fin du mois d’août, ce pourcentage est porté à 70 % et les conditions d’admission ont été assouplies.
Nous avons fait en sorte que la dégressivité des allocations de chômage soit temporairement gelée pour éviter que nombre de personnes tombent dans la pauvreté. Beaucoup d’économies ont été imposées dans le domaine des soins de santé, faisant grandir chaque fois la colère des blouses blanches qui s’exprimait dans les grandes manifestations. On est arrivé à l’os maintenant, les travailleur·euse·s n’en peuvent plus. Tout le monde applaudit leur comportement héroïque, même le gouvernement qui a eu besoin d’une pandémie pour se rendre compte de l’utilité du secteur. Nous revendiquons des investissements structurels importants depuis des années sans grand succès ! »
La sécurité sociale est comme une bouée de sauvetage dont les citoyens peuvent bénéficier rapidement quand ça va mal.
« Oui ! La CGSLB est en première ligne pour rendre le système plus accessible et plus efficace encore. En moins d’une semaine, les organismes de paiement ont mis en place une procédure simplifiée de demande du chômage temporaire en collaboration avec les informaticiens de l’ONEM. Les membres du personnel de la CGSLB ont immédiatement répondu présent, chacun a donné le meilleur de soi pour que les nombreux nouveaux chômeurs temporaires soient payés le plus rapidement possible, sans négliger les affiliés qui étaient déjà au chômage avant la crise.
En plus de ce travail titanesque, la CGSLB a continué à jouer son rôle de groupe de pression auprès du gouvernement pour faire reconnaître le Covid-19 comme maladie professionnelle pour les personnes effectuant certains métiers dans les soins de santé et dans les secteurs cruciaux, et obtenir des avantages dans d’autres domaines touchant à la sécurité sociale, comme les pensions ou la garantie de revenus aux personnes âgées. Par ailleurs, nous avons soutenu l’introduction du congé parental corona pour les travailleurs devant s’occuper de leurs jeunes enfants. »
La population se rend bien compte que la sécurité sociale va encore se montrer utile longtemps.
« Le chômage temporaire va durer encore un certain temps, au moins jusqu’à la fin août. La crise aura des conséquences à moyen terme, nous devons nous attendre à une vague de restructurations et de faillites, des personnes vont tomber au chômage complet. Dans ces conditions où trouver un emploi sera très difficile, on peut se demander s’il faudra retourner au système de dégressivité des allocations qui s’appliquait avant la crise. Les demandes d’indemnités maladie vont perdurer quelque temps aussi. La revalidation des patients Covid-19 se poursuit parfois pendant plusieurs mois avec toute une batterie de soins médicaux. Le recours au crédit-temps sera également plus fréquent. »
Malgré un système de sécurité sociale performant, le nombre de ménages qui doivent se tourner vers les banques alimentaires est en croissance.
« Nous sommes au regret de le constater. Beaucoup trop de citoyens passent entre les mailles du filet. Les étudiants, les flexi-jobers, par exemple n’ont pas droit au chômage temporaire. Ils n’ont d’autre possibilité que de s’adresser au CPAS et aux banques alimentaires comme en témoignent plusieurs études universitaires sur les effets de la crise sur ces organismes. Il y a une augmentation des demandes d’avance sur allocations. Les banques alimentaires comptent 42 % de nouveaux “clients” dans leurs files. J’ose espérer que des chômeurs complets n’en seront pas réduits à ces extrémités lorsqu’ils arriveront à la fin de la dégressivité de leurs allocations. »
Tout cela va coûter énormément d’argent. Notre pays en a-t-il les moyens ?
« Les chiffres de l’ONSS montrent que les mesures corona coûteront quelque 5 milliards d’euros jusque fin juin. C’est effectivement une grosse somme. N’oublions pas que le système avait déjà été mis en péril avant la crise, il y avait un trou
de plus de 3 milliards d’euros dans le financement de la sécurité sociale causé par l’absence de compensation à la réduction des cotisations patronales accordée dans le cadre du taxshift. D’ailleurs, c’est le déficit budgétaire total de la Belgique qui s’est considérablement creusé depuis le début de la crise corona. Au nom du Syndicat libéral, je le dis fermement : il n’est pas question de nous imposer de nouvelles économies dans la sécurité sociale. Le gouvernement va devoir aller chercher l’argent ailleurs. La CGSLB rappelle qu’il existe d’autres sources de financement de la sécurité sociale, par le biais d’une fiscalité plus juste.
Il s’agit maintenant de fixer des priorités fondamentales.
Des investissements dans les soins de santé et dans la protection sociale constituent le meilleur stabilisateur de la société et de l’économie.
Investir dans ces domaines constitue un choix politique, mieux, un choix sociétal.
Aux employeurs nous disons : n’oubliez pas que les mesures de chômage temporaire ont aussi contribué à sauver les entreprises au moment où elles ont littéralement dû fermer leurs portes. »
Dès lors, il faut dire un grand merci à la sécurité sociale ?
« Et comment ! Imaginez dans quel marasme nous serions sans notre sécurité sociale ! N’oublions pas demain ce qui nous évite les plus grands malheurs aujourd’hui ! Comme lors de sa création à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et dans chaque période de crise, la sécurité sociale a démontré son rôle d'amortisseur pour absorber les chocs les plus rudes. La sécurité sociale est un vecteur de croissance économique. »