50 millions de personnes dans le monde sont prises dans les filets de l’esclavage moderne (OIT, septembre 2022).
Il s’agit notamment de personnes qui doivent travailler pour quelqu’un pendant des années pour rembourser une dette - la leur ou celle d’un membre de leur famille ! Pour rembourser cette dette, nous retrouvons des femmes, des enfants ou des hommes en situation de prostitution forcée, des migrants retenus en captivité par un employeur qui leur a confisqué leur passeport, des femmes et des filles (surtout) qui fournissent du travail à leur mari ou à leur belle-famille dans le cadre de mariages forcés, des personnes employées dans un camp pénitentiaire , etc. Un quart de ces 50 millions de personnes sont encore des enfants.
Ces pratiques odieuses sont interdites par plusieurs conventions fondamentales de l’OIT [*], mais se produisent partout dans le monde, dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Au cours des dernières années de crise, ce nombre a augmenté rapidement, passant de 40 à 50 millions. En Europe et en Asie centrale, on compte aujourd’hui quelque 6,5 millions d’« esclaves modernes ». Les abus révélés l’été dernier dans certains chantiers navals anversois ne sont que la partie émergée de l’iceberg !
C’est dans le monde arabe que la proportion de personnes en situation d’esclavage moderne est la plus élevée (1,7 million de personnes, soit plus d’1% de la population totale) ! Lorsque la Coupe du monde a été attribuée au Qatar en 2010, les projecteurs se sont soudainement tournés vers ces abus. C’est une bonne chose, parce qu’en dehors du grand nombre de personnes mises en esclavage, ce sont surtout des migrants qui travaillent là dans des régimes de travail très similaires. Rien qu’au Qatar, on compte 1,2 million de travailleurs (94% de la population active) qui, jusqu’à récemment, n’avaient pratiquement aucun droit.
Sonner l’alerte
Le mouvement syndical international a immédiatement tiré la sonnette d’alarme à ce sujet, en pointant du doigt le système de « kafala » auprès de l’OIT [**]. Ce système prévoyait que les travailleurs migrants (principalement des ouvriers du bâtiment et des employés de maison) viennent au Qatar par l’intermédiaire de sortes d’agences de travail temporaire . Sans l’autorisation de ces employeurs, ils ne pouvaient ni quitter le Qatar ni même changer d’employeur. Ces employeurs ont évidemment retiré les passeports de ces migrants, de sorte qu’à la fin de leur contrat, ils n’avaient nulle part où aller et se retrouvaient en situation d’esclavage moderne.
Sous la pression de l’OIT et de la Confédération syndicale internationale, et afin de polir son image pour la Coupe du monde, le Qatar a progressivement supprimé ce système entre 2016 et 2020. Il a également introduit un salaire et un âge minimum pour tous les travailleurs, tout en faisant une tentative d’ouverture pour la représentation des travailleurs sur le lieu de travail.
Ce sont des pas important dans la bonne direction, mais d’énormes problèmes subsistent concernant le paiement des salaires et le respect des temps de travail et de repos. Pendant que nous sommes tous absorbés par la fête du football, le mouvement syndical international doit et continuera à surveiller la mise en œuvre des normes internationales du travail au Qatar.
Agir davantage
Pour mettre fin à la honte mondiale que constituent l’esclavage moderne et le travail forcer, il faut agir davantage. Il est très important pour nous que les gouvernements, y compris en Belgique et en Europe, renforcent les inspections sociales afin de mieux faire respecter la législation sociale. Au niveau mondial, le dialogue social et les libertés syndicales doivent être encore encouragés (la CGSLB y contribue activement), et les travailleurs vulnérables doivent être soutenus par des systèmes de protection sociale. Enfin, avec une loi sur le devoir de vigilance , les entreprises doivent être amenées à surveiller de plus près le comportement de leurs sous‑traitants mondiaux, lesquels ont entre trop souvent recours au travail forcé pour faire baisser les prix.
[*] Les conventions fondamentales sont des accords internationaux conclus par les organisations internationales d'employeurs et de travailleurs (la Confédération syndicale internationale, à laquelle la CGSLB est affiliée) et les États membres de l'Organisation internationale du travail.
Certaines conventions doivent être ratifiées par les États membres avant d'être valables dans leur pays, d'autres sont tellement "fondamentales" qu'elles sont en vigueur de toute façon, partout dans le monde, comme les autres droits de l'homme. Il s'agit notamment des conventions (C29 et C105) interdisant le travail forcé (et donc l'esclavage) et des conventions (C138 et C182) interdisant le travail des enfants.
Les autres conventions fondamentales portent sur le droit à la liberté d'association (C87) et de négociation collective (C98) - c'est-à-dire la liberté syndicale -, le droit à l'égalité de rémunération (C100) et l'égalité de traitement (non-discrimination, C111). En 2022 - seulement en 2022 ! - le droit à la sécurité et à la santé au travail ont été ajoutés à ces conventions fondamentales (C155 & C187) ; ce droit est désormais également applicable dans le monde entier.
[**] L'OIT est une "agence spécialisée" des Nations unies ; c'est la plus ancienne organisation internationale et la seule où employeurs et travailleurs sont représentés en plus de tous les pays du monde. L'OIT élabore des réglementations internationales sur le "monde du travail" (voir note précédente), contrôle l'application de ces règles et soulève des problèmes avec les pays qui violent les règles.